Jeanne Damas aime à le rappeler : Rouje est une histoire de femmes. Des chemins qui se croisent, des dialogues qui inspirent, des idées qui restent. Au fil de ces portraits, elle donne la parole aux figures féminines dont le parcours l’interpelle. Aujourd’hui, elle rencontre Valeriia, fleuriste ukrainienne réfugiée à Paris.

Bonjour, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Valeriia et j’ai 27 ans. Je viens de Kyiv, en Ukraine.

Depuis combien de temps es-tu fleuriste ? Tu as le sentiment que c’était une vocation ?

Je suis fleuriste depuis 7 ans maintenant. Je ne sais pas si on peut parler de vocation, tout ce que je sais c’est que je ne peux pas vivre sans fleurs. Les fleurs sont pour moi ce que la peinture est à un artiste.

Qu’est ce qui t’inspire dans le travail avec les fleurs ?

La couleur, sans hésitation. Dans mon travail, j’aime créer des émotions et des associations qui dépassent le champ des fleurs, à travers des arrangements de couleurs.

J’ai vu que tu avais un atelier et un magasin à Kiev, tu peux nous raconter l’histoire de ce lieu et son quartier ?

L’espace où j’ai installé mon studio à Kyiv était un garage à la base. Une de mes amies proches, qui est aussi une cliente, m’a suggéré de convertir cet espace en atelier. Nous avons tout fait de nos mains, ajouté une vitrine pour que le lieu s’approche un peu plus d’un magasin, mais nous avons aussi gardé l’authenticité des portes. Tout a été peint en blanc, nous avons ajouté un miroir et une grande table sur roues. J’aime le fait que l’espace reste très minimaliste, c’est une façon de mettre l’emphase sur les fleurs.

Mon studio / garage est situé dans une petite cour de la rue Reitarska, un endroit que j’adore à Kyiv. C’est le quartier créatif, il y a plein d’adresses cool et on y mange bien. C’était vraiment l’environnement que je voulais pour créer mon studio !

Tu as quitté l’Ukraine quelques jours après le début de l’offensive Russe. Peux-tu nous raconter comment tu es arrivée jusqu’en France ?

Au début de la guerre, je ne savais pas si j’allais partir. La première semaine, j’ai passé la nuit dans un abri anti-bombes. Personne n’était préparé à ce qui allait se passer, donc ces abris sont vieux, pas vraiment adaptés… Finalement, au bout de quelques jours, nous avons décidé de partir pour un endroit plus sûr. Je n’avais pas vraiment de plan en tête, mais j’avais toujours rêvé d’habiter en France… C’était donc ma destination. Je suis partie avec ma mère, mon chien, un petit sac à dos avec le strict nécessaire. J’ai pris ma voiture et conduit plus loin que je n’avais jamais été. Pour la petite histoire, je ne conduis vraiment pas depuis longtemps : j’ai passé le permis il y a deux mois et demi.

On a conduit à travers la Pologne, la République Tchèque et l’Allemagne avant d’arriver en France. À Paris, on a été accueillis par Victoria et sa famille. On ne se connaissait pas avant la guerre, et maintenant on dirait presque qu’on forme une famille.

Est-ce c’était la première fois que tu venais à Paris, ou tu connaissais déjà la ville ?

J'ai été à Paris trois fois avant la guerre. Ce qui me semble fou c’est que j’en revenais tout juste, j’étais encore à Paris le 22 février, deux jours avant le début du conflit.

Comment as-tu réussi à rebondir une fois arrivée à Paris, à pouvoir recommencer à travailler ?

En arrivant à Paris, je savais que je voulais continuer à travailler avec les fleurs. J’avais emporté peu de choses, mais j’avais pris mon sécateur ! Pourtant, il s’est avéré difficile de sourcer des fleurs fraîches en France sans avoir une entreprise ici. Finalement, des fleuristes françaises m’ont aidée à accéder au marché de Rungis, dit quels papiers avoir, etc. Je suis vraiment reconnaissante qu’elles aient pris le temps de m’aider.

As-tu eu un sentiment de solidarité parmi la communauté des fleuristes, en France et à l’international ?

Bien sûr ! Grâce à la communauté des fleuristes, j’ai pu trouver un endroit où dormir, rencontrer de nouvelles personnes, trouver d’autres clients. Des fleuristes du monde entier m’ont aidée, m’ont proposé du travail ou des opportunités. Cette solidarité est incroyable.

Est-ce que Paris et Kiev ont des points communs ? Ou des différences frappantes ?

J’ai l’impression qu’il y a autant de marronniers ici qu’à Kyiv - c’est d’ailleurs le symbole de notre ville. Et il y a autant de circulation ici que là-bas !

Mais bizarrement, j’ai l’impression que les gens travaillent plus à Kyiv qu’ici, où la vie sociale et les sports prennent une grande place dans le quotidien des gens. La vie me semble moins stressante ici.

J’essaie d’imaginer la difficulté d’être loin de sa ville, de ses proches et son business dans ces conditions. Comment ça se passe à Kiev en ce moment ? Et dans ton Studio ?

Kyiv revient lentement à une nouvelle routine. Certains business rouvrent, surtout pour aider les volontaires. Des restaurants préparent des repas pour les réfugiés, les aides financières s’organisent. Mon studio a pu réouvrir grâce à mon assistante ! Les gens ont besoin de fleurs, même en temps de guerre. Mais cette routine n’est pas entièrement positive : les entreprises survivent plus qu’elles ne vivent. Et chaque jour à Kyiv, on entend des sirènes dans les rues : elles annoncent la possibilité de frappes aériennes. Dès que nous les entendons, nous devons trouver refuge dans un abri. C’est loin d’être une vie normale.

As-tu un message que tu voudrais partager concernant ton histoire ou la situation en Ukraine ?

Je tiens à dire que je me sens vraiment chanceuse : j’ai un toit et l’opportunité de continuer à travailler, ce qui n’est pas le cas pour de nombreux ukrainiens dont les logements ont été détruits, qui n’ont plus d’endroit où aller ni de foyer. Des familles sont bouleversées par la perte de leurs proches. Il se passe des choses terribles qui nous dépassent. Depuis Paris, je tiens à aider financièrement et je demande à ceux qui le peuvent de le faire également, et d’aider de n’importe quelle manière.

L’histoire de Valeriia est unique et ne reflète pas entièrement le quotidien et le vécu des 5 millions d’ukrainiens qui ont dû quitter leur domicile ces derniers mois. Pour rester informés de ce qu’il se passe sur place, nous vous recommandons de suivre le live du Monde ou des experts du sujet. Et si vous souhaitez aider, vous pouvez faire un don auprès d'associations qui œuvrent sur le terrain..

Rouje invite Valeriia et son studio floral Attempt, chaque Samedi de Juin dans notre boutique du 11 bis rue Bachaumont, 75002. Découvrez ses bouquets uniques dont 30% des bénéfices seront reversés à des associations ukrainiennes.

Rendez-vous sur @attepmt

Crédits :
Photos par Jeanne Damas
Video par Nicole Lily Rose

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